L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (ci-après « l’Ordonnance », consultable ici, le rapport au Président de la République consultable ici) prévoit des mesures dérogatoires au droit commun dont l’objectif est de permettre à une partie de neutraliser, pendant une période de temps donnée, les effets de l’arrivée du terme.

En outre, l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 (consultable ici), ainsi que le Rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance (consultable ici), sont venus apporter des aménagements, compléments et précisions aux dispositions de l’Ordonnance.

Chacune de ces ordonnances est accompagnée d’une circulaire de présentation, respectivement en date des 26 mars 2020 (consultable ici) et 17 avril 2020 (consultable ici),

Tous les schémas explicatifs sont consultables et téléchargeables en format PDF sur la page LinkedIn du Cabinet ici :

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Le champ de cette Ordonnance est vaste et couvre de multiples aspects de la vie juridique des particuliers et des entreprises (délais portant sur la matière administrative, les procédures d’enquête publique, les obligations fiscales, certaines stipulations contractuelles etc.). Nous nous limiterons ici à l’analyse de la neutralisation :

– des actes faisant l’objet de délais fixés par la loi et le règlement (1.),

– des mesures judiciaires et administratives (2.).

Si le principe de cette neutralisation est simple à appréhender, il ne faut pas pour autant considérer que la neutralisation s’appliquerait de manière générale. Loin de là.

> La période d’application du principe de neutralisation s’étend, en l’état, du 12 mars 2020 au 23 juin à minuit. La circulaire du 17 avril 2020 (consultable ici) a ainsi précisé que la “période juridiquement protégée” prend fin au 23 juin 2020 à minuit et non pas au 24 juin à minuit comme les précédents textes le laissaient entendre.

> Toutefois, la circulaire de présentation du 17 avril 2020 (consultable ici) précise que cette date de fin du régime dérogatoire n’est que provisoire et pourra être réexaminée, de sorte qu’il est possible que la “période juridiquement protégée” prenne en réalité fin avant le 23 juin 2020 à minuit :

Il convient toutefois de souligner que la date d’achèvement de ce régime dérogatoire n’est ainsi fixée qu’à titre provisoire. En effet, elle méritera d’être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d’accompagnement de la fin du confinement. Ainsi que le président de la République l’a annoncé dans son allocution du 13 avril 2020, la fin du confinement devrait s’organiser à compter du 11 mai 2020. Selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, la fin de la « période juridiquement protégée » sera adaptée pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais”.

> L’interruption des actes et mesures définis par l’Ordonnance est optionnelle: les parties ont donc la possibilité de continuer à appliquer les délais « normaux ».

Le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 (consultable ici) précise ainsi que le mécanisme de neutralisation des délais mis en place par l’Ordonnance, en son article 2 :

« ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir.  Le mécanisme mis en œuvre […] permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s’agit de permettre d’accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois ».

> Les actes (1.) et mesures (2.) concernés par ce traitement exceptionnel sont limités.

 

1 – Les actes dont les délais peuvent être neutralisés, sont limités et temporellement encadrés (articles 1 et 2 de l’Ordonnance)

> La possibilité pour une partie d’opter pour la neutralisation d’un délai opère uniquement pour les actes dont les délais arrivent à expiration entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 à minuit (soit à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, lequel prend fin le 23 mai 2020 à minuit, sauf si une prorogation devait être décidée – certains considéraient, non sans raisons, que l’expiration interviendrait le 25 mai 2020 à minuit, tandis que la majorité de la doctrine considérait que l’expiration interviendrait le 24 mai à minuit).

En conséquence, sont exclus du dispositif :

les actes dont les délais ont expiré avant le 12 mars 2020 ;

les actes dont les délais arrivent à expiration après le 23 juin 2020 à minuit.

1-1. Les actes visés par le dispositif de neutralisation sont limités à ceux faisant l’objet d’un délai fixé par la loi ou le règlement

> Seuls les actes faisant l’objet de délais fixés par la loi ou le règlement peuvent être neutralisés.

L’article 2 de l’Ordonnance adopte une définition très large des actes bénéficiant de la neutralisation de ces délais légaux :

Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque […] Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.”

En pratique, de très nombreux actes de la vie juridique sont donc couverts par le dispositif de neutralisation.

A titre d’illustration :

Tous les recours (appel, pourvoi en cassation, opposition etc. – sur l’exemple des effets sur la procédure d’appel, voir ci-après) ;

Le cours de la prescription des actions en justice (assignation en référé, assignation au fond, saisies etc. – sur l’exemple d’une prescription quinquennale, voir ci-après) ;

L’expiration de tous les droits de préemption assortis d’un délai légal (droit de préemption des indivisaires, droit de préemption du preneur d’un bail commercial etc.).

> Le Rapport au Président relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 (consultable ici) précise à ce sujet que seuls peuvent être concernés par la neutralisation des délais prévue à l’article 2 de l’Ordonnance les actes qui sont « « prescrits » par la loi ou le règlement, « à peine » d’une sanction ou de la déchéance d’un droit »».

Tel n’est pas le cas, selon ce même Rapport, des délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement.

De ce fait, l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 ajoute à l’article 2 de l’Ordonnance une disposition selon laquelle les délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ainsi que les délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ne sont pas concernés par la neutralisation des délais mise en place par l’Ordonnance (Article 2 de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020).

Sont ainsi exclus du dispositif de neutralisation :

– les délais pour se rétracter ou renoncer à un contrat, par exemple en matière de vente à distance ou de contrats d’assurance ou de services financiers à distance, d’assurance-vie ou encore de vente d’immeubles à usage d’habitation relevant de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation,

– les délais de réflexion (par exemple celui prévus par l’article L313-34 du Code de la consommation en matière de crédit immobilier),

– les délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de l’un de ces droits.

Cette exclusion est expliquée dans le Rapport au Président par le fait qu’une « lecture contraire aurait pour effet de paralyser nombre de transactions ».

Cette modification de l’article 2 de l’Ordonnance a un caractère interprétatif. En outre, le Rapport au Président (ici) précise qu’elle a un caractère nécessairement rétroactif : elle ne modifie pas la portée de l’Ordonnance mais explicite que depuis l’origine, celle-ci ne s’applique pas aux délais de réflexion et de rétractation.

Ce caractère rétroactif risque de poser problème, ne serait-ce que pour les bénéficiaires de ce type de délais, échus entre le 12 mars 2020 et le 15 avril 2020, et qui ont légitimement cru pouvoir bénéficier de la neutralisation du délai.

> Les délais de nature purement contractuelle sont quant à eux, sauf exceptions, exclus du mécanisme de neutralisation (voir Rapport au Président de la République, ici).

En conséquence, le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat, sous réserve de l’application des dispositions du Code civil (suspension de la prescription pour impossibilité d’agir : article 2234 du Code civil, force majeure : article 1218 du Code civil).

Les exceptions : Certaines obligations contractuelles sont toutefois neutralisées (articles 4 et 5 de l’Ordonnance) : astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires, clauses prévoyant une déchéance ou la résiliation, dénonciation d’une convention dans un délai déterminé. Ces mesures feront l’objet d’un flash info à venir.

 > Par ailleurs, le sort de nombreux délais est spécialement traité par d’autres dispositions prises dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.

Ainsi, à titre d’exemple, les délais en matière pénale ou de procédure pénale font l’objet d’un traitement séparé (ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19). Leur analyse sera spécifiquement traitée dans un flash info à venir.

> Enfin, certains délais et obligations sont spécifiquement exclus du champ d’application de l’Ordonnance : c’est le cas par exemple des obligations financières relevant des compensations et cessions de créances (articles L. 211-36 et suivants du Code monétaire et financier).

> L’ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020 a ajouté plusieurs exclusions expresses du champ d’application de l’Ordonnance, notamment :

les procédures de gel des avoirs destinées à lutter contre le financement et la prolifération du terrorisme (obligations résultant, pour les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier, de la section 4 du chapitre 1er ainsi que du chapitre II du titre VI du livre V du même code),

les obligations de déclaration à l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS) pesant sur les intermédiaires en assurance et réassurance ainsi qu’en opération de banque et services de paiement, visant à justifier de la régularité de la distribution des produits et services proposés.

– les délais relatifs à la déclaration établie pour chaque transfert physique de capitaux en provenance ou à destination d’un Etat membre (obligation déclarative de capitaux auprès de l’administration des douanes) ainsi que les délais relatifs à la déclaration prévue à l’article 3 du règlement (CE) n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté.

Le Rapport au Président relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 (ici) justifie notamment ces exclusions, d’une part, par le besoin de surveiller les marchés et les opérations effectuées par les différents acteurs et émetteurs (sociétés de gestion de portefeuille, dépositaires, conseillers en investissements financiers, etc.) pendant la période de crise et, d’autre part, par le besoin de poursuivre la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme, conformément aux obligations internationales, tout en garantissant une information suffisante à Tracfin.

La circulaire de présentation de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 comporte une annexe récapitulant l’ensemble des exclusions au champ d’application du titre Ier de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (consultable ici).

 

1-2.La mise en œuvre de la neutralisation

> L’Ordonnance indique que les actes définis ci-avant voient leurs délais « suspendus ». Cette qualification est trompeuse puisque, en réalité, le mécanisme mis en place relève plus d’une interruption.

L’article 2 de l’Ordonnance prévoit en effet que le délai légal recommence à courir à compter du 23 juin 2020 à minuit « pour la durée qui était légalement impartie » mais ne peut excéder deux mois à compter du 23 juin 2020 minuit, soit le 23 août 2020 à minuit.

 > En pratique, prenons l’exemple d’un délai d’appel qui a commencé à courir le 8 mars 2020, soit avant le début de la période d’urgence. Le délai d’un mois pour interjeter appel sera décalé, si l’appelant le décide, et sera ouvert du 23 juin 2020 à minuit au 23 juillet 2020 à minuit :

> En pratique, prenons encore l’exemple d’une prescription qui serait acquise le 5 juin 2020. Le délai pour engager l’action expirera le 23 août 2020 à minuit:

 

2 – Les mesures administratives ou juridictionnelles prorogées (Article 3)

> L’article 3 de l’Ordonnance prévoit que les mesures administratives ou juridictionnelles arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 sont prorogées de plein droit pour un délai de deux mois à compter du 23 juin 2020 à minuit, soit jusqu’au 23 août 2020 à minuit.

> Le Juge ou l’autorité compétente a la possibilité de modifier ou d’arrêter les mesures prononcées avant le 12 mars 2020 si elles devaient avoir des effets qu’il conviendrait d’aménager du fait de l’état d’urgence sanitaire.

> L’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 a ainsi modifié l’article 3 de l’Ordonnance pour préciser que la prorogation des mesures ne fait pas obstacle :

« à l’exercice, par le juge ou l’autorité compétente, de ses compétences pour modifier ces mesures ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont il a la charge le justifient, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles en fixant un délai qu’il détermine » (Article 3 de l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020).

Dans tous les cas, le juge ou l’autorité compétente doit tenir compte, dans la détermination des prescriptions ou des délais à respecter, des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire.

> Les mesures administratives ou juridictionnelles concernées sont :

– Les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction de conciliation ou de médiation ;

– Les mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;

– Les autorisations, permis et agréments ;

– Les mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;

– Les mesures d’aide judiciaire à la gestion du budget familial.

 

La neutralisation des délais et la prorogation des mesures prévue par l’Ordonnance est donc à manier avec la plus grande prudence.

Nous recommandons de continuer à respecter, dans la mesure du possible, les délais impératifs de procédure, notamment en matière de procédure d’appel.

 

Notre cabinet reste activement mobilisé pour vous assister dans toutes problématiques en relation avec ces sujets. N’hésitez pas à nous contacter (voir nos coordonnées ci-dessous ou encore notre site internet www.lecspartners.com).

 

Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Laude Esquier Champey. 

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